Plusieurs études internationales ont analysé la durée de présence au poste du soignant (le roulement) et son lien avec la qualité et la sécurité des soins, particulièrement le taux d’erreurs.
Partout dans le monde, le régime de temps de travail en 12h et parfois même 13h (en comptant la présence incluant les repas) prend de l'ampleur.
Le rythme en 12h plaît aux soignants car il libère du temps pour la vie privée (rotation 1 semaine 4 jours, 1 semaine 3 jours) ; ce régime intéresse aussi l'hôpital car il est plus économe en soignants ; il est quasi-généralisé dans les soins d'urgences et les réanimations.
Du point de la qualité et la sécurité des soins, certaines analyses le trouvent également potentiellement vertueux car il réduit les transmissions dont on sait qu'elles sont une source de dysfonctionnement.
Toutefois, cet engouement a rarement -sinon jamais- été mesuré et prouvé en termes de bénéfice sécurité qualité. Bien au contraire. Il existe aujourd'hui plus de 30 articles publiés jugeant neutre ou négatif ce bénéfice (sauf pour l'organisation et les travailleurs), et aucun ne le jugeant positif.
La littérature des années 2005-2010 s'était saisie du problème surtout par l'angle de la fatigue accumulée et du problème pour les soignants, en observant que le risque du roulement en 12h dépend en large partie d'une vision globale du roulement sur le mois et de l'organisation des jours de repos, avec une augmentation de risque si les jours de repos sont regroupés, et donc les jours de travail en 12h trop condensés (ce qui est parfois le cas) (voir par exemple Richarson, 2007).
Depuis les années 2010, la littérature s'est plus centrée sur les conséquences pour le patient.
Une enquête (Witkoski 2013) portant sur 22375 IDE de 577 hôpitaux Américains pratiquant ces roulements entre 2005 et 2008 montre une nette différence de perception du risque par les soignants entre quatre catégories de roulements : 8-9h, 10-11h, 12-13h, et plus de 13h (les roulements les plus fréquents étant 8-9h et 12-13h). Les roulements qui dépassent 8-9 h sont jugés systématiquement à risques croissants pour les patients, avec une aggravation du risque très nette au-delà de 12-13h. Les capacités des équipes à prendre une demi-heure continue de repos entrent pour partie dans la régulation de ce risque mais s'avèrent finalement assez difficiles à utiliser dans la réalité, contribuant encore plus aux erreurs constatées. Objectivement, l'étude renforce les préconisations du ministère de la santé US qui préconise des vacations de 8h.
Plusieurs études conduites en réanimation aboutissent au même constat, en utilisant cette fois un comptage objectif des erreurs (par exemple Stimpfel en réa pédiatrique, 2013, sur un panel de 3710 infirmiers de 342 réanimations pédiatriques US).
Une étude encore plus récente (Griffiths 2014) conduite dans 12 pays européens va dans le même sens et montre que le problème est également Européen : 31 627 infirmiers inclus dans l'étude travaillant dans 488 hôpitaux de 12 états européens. 50% des roulements sont en 8h ou moins, et 15% sont en 12h ou plus. Le recoupement entre qualité des soins (soins décalés, pas faits, mal faits) et durée du roulement est explicite : risque augmenté très significativement avec les horaires en 12h.
Alors ? Un bel exemple de conflit entre le bénéfice perçu pour les travailleurs et les établissements et celui du patient. La preuve n'est plus à apporter du plutôt "mal-fondé" de la mesure, et pourtant, on continue à augmenter le nombre de roulements en 12h !